Nettoyage de printemps

Publié le par lilipoutchi

C'était un de ces matins chagrins. Un de ceux où je me réveillais en grimaçant. Zéro perspective pour le futur, que ce soit pour la journée, pour le mois, pour l'année, ou pour l'éternité. Un de ces matins où je retenais mon envie de déféquer le plus long possible, car elle seule m'offrait un point de repère dans cet océan qu'est le futur : un séjour sur le trône.

Ce matin là, je me levai assez tôt. La grimace est plus intense quand le réveil affiche qu'il est déjà onze heures, espèce de bon à rien, à de petits yeux tout endormis.
Je me levai tôt et j'en fus fort aise. Bientôt, mon téléphone sonna. C'était Adecco. Better work, better life. Un type ne s'était pas pointé ce matin pour "un nettoyage de printemps dans un restaurant", et ils cherchaient un remplaçant.
Grâce à ce glandu, ils m'offraient un boulot pour non pas une demi journée, ni même une journée, ni même une journée et demi, ni même deux journées. Vous pensez peut être qu'ils m'offraient du boulot pour deux journées et demi ? Eh bien non ! Encore raté ! J'allais avoir du travail pour trois jours.
Heureusement que ce n'était pas un CDD de 2 mois.

J'enfourchai donc ma bicyclette, heureux comme un prince, frais comme un gardon. Il ne faisait pas très beau, mais même les nuages avaient une mine sympathique depuis que j'avais du travail. C'était un vrai régal d'aller au travail en vélo en cette fin d'après midi.

"Prolétariat aliéné, me voilà !" hurlai-je à qui voulait bien l'entendre.

J'arrivai au restaurant et me présentai, bien que je ne m'appelle pas Henri.
Le gérant de l'établissement, surpris de voir arriver quelqu'un s'y tard, me dit que ce n'était pas trop la peine que je fasse la fin de matinée, et qu'il valait mieux que je revienne en début d'après midi.

Je renfourchais donc ma bicyclette.
"Prolétariat aliéné, je te jure que je vais pas tarder !" souriai-je aux nuages.


Deux heures plus tard, j'étais effectivement en train de nettoyer la merde du Mc Do. Prolétaires de tous les pays, unissez vous !
Dans ma tête, des images de gens à l'air convaincu qui disent :

"non mais tu sais, quand je vais à l'étranger, je préfère manger au Mc Do que bouffer local. Au moins je suis sur des conditions d'hygiène." et qui enchainent avec un "Non mais Supersize me n'est pas un film réaliste. La nourriture du Mc Do n'est pas si grasse."

Quand j'étais môme, j'aimais bien jouer avec tout ce qui oblige maman a faire une lessive plus tard. Si bien que mon frère réussit à me convaincre sans peine de sauter dans un ruisseau sur une planche fictive quand j'avais une cinquantaine de mois. Oui, environ quatre ans. Bien calculé.
J'ai gardé cet attrait pour le dégueu : quand je vais courrir, je ne rechigne pas à me prendre une bonne flaque boueuse.

Autant vous dire que j'ai pris mon pied à nettoyer les hautes hotes surplomants les grills pour steack.
Au début, armé d'une truelle, j'ai commencé à gratter les parties où de la fumée s'était déposée. Le résultat était ue petite pluie de poussière carbonisée. Decevant. Je continuais donc mon investigation, et ne mis pas longtemps à trouver le Graal : une petite rigole permettant de récupérer la graisse qui monte dans la hôte sous forme de vapeur et qui se reconstitue.
En gros, une rigole pleine d'une graisse sombre et épaisse. Une rigole avec un petit trou au bout vers lequel je précipitais toute la graisse qui allait s'écraser sur le sol.

J'en aurais presque oublié que mon collègue à côté de moi risquait de se ramasser cette merde. Ce collègue n'était autre que le malchanceux des tuyaux. A la vue du liquide sombre, il fit une moue dégoutée.
Un silence.
Dans ses yeux, je vis un traumatisme.

" Tu sais, commença-t-il lentement, les tuyaux, reprit-il, eh bien, continua-t-il, parfois poursuivit-il, ça tombait pareil conclut-il enfin dans une confidence libératoire." Libératoire pour lui et aussi pour les tuyaux si vous vous posiez la question.


Peu après, je sentis que j'étais en danger. La manageuse du Mc Do vint me voir pour me dire d'aller travailler ailleurs si elle y était. A deux au même endroit, on risquait de discuter, et d'être moins efficace. Armé d'un trounevis cette fois, je me mis alors au dégraissage d'une partie toute biscornue de friteuse. Une activité pénible qui oblige à frotter comme un maniaque pendant des plombes, à des années lumières du nettoyage grandiose de la hôte d'Augias.
Peut être sentit-elle mon désarroi, en tout cas la manageuse revint me voir en m'encourageant. Elle se força très fort pour me dire avec conviction :
"Ah ouiiiiiii. Il y a du mieux !"

Pourquoi les gens font-ils des trucs comme ça ?
Peut être que ça lui semble normal parce que quand elle nettoie les toilettes chez elle, son mari vient la voir et lui dit : "Bravooooo Chériiiiiiie. Il n'y a plus aucune trace des petites gouttes que je mets sur la cuvette. C'est vraaaaaiiiiiiiment bien. Tu peux être fière de toi."
Autrement je vois pas.

Je lui demandais si je pouvais arrêter, avec l'espoir secret d'aller patchiquer dans la graisse, mais elle me dit :
"Je pense que tu peux faire encore mieux." Le manager du Mc Do, c'est un peu le politicien des basses couches. Celui qui est obligé d'utiliser des jolies formules pour faire accepter des trucs dégueulasses. Des trucs pas valorisants.
Un peu plus tôt, on constatait avec Mr Tuyaux que le Mc Do recrutait avec goût.

"C'est pas le bon moment pour draguer", sourit-il tristement. Et justement.


Devant un grand verre de Sprite, je me disais qu'ils étaient sympas de nous payer une pause comme ça chez Mc Do. Après tout, on n'est que des intérimaires, ils peuvent nous traiter comme des moins que rien, ce qui représente au passage la qualité la plus appréciable de ce type de population.
Mais non : 10 minutes de pause, un grand coca. Une discussion un peu artificielle pour s'intéresser à nous. Et enfin, des compliments sur notre travail.

"Ca a très bien avancé aujourd'hui. Tellement bien que vous pourrez très bien finir à 2."
Les derniers arrivés sont les premiers partis. Je me suis fait virer du Mc Do. Virer d'un boulot d'intérimaire. Moi qui pensai avoir toucher le fond.

Un peu avant de partir, je suis allé négocier mon golden parachute :
"Est-il possible de prendre un cheesburger pour la route ?" m'enquis-je.
La manageuse se retourna, et son visage ne reflétait pas le même entrain que lorsqu'elle m'encourageait à gratter le recoin de la fritteuse.

"Bien sur. Passez en caisse."





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